29 – Le ballon le Tourville

Le TOURVILLE

1870, l’année terrible… Le 3 septembre, après une guerre impitoyable et le siège de Sedan, le Second Empire s’écroule. Peu après naît le gouvernement de la Défense nationale dans lequel GAMBETTA organise la lutte. Paris est assiégé par les Prussiens.

Le seul lien entre Paris et le reste de la France, c’est le ballon. Chaque jour, plusieurs d’entre eux décollent avec à leur bord du courrier. Léon Gambetta parvint ainsi à atterrir dans la Somme.

Le mardi 27 décembre 1870, le Tourville s’envola de la gare d’Orléans, à 4 h 00 du matin. Il était piloté par un volontaire de la marine, détaché du fort de Noisy, Abel MOUTET. Celui-ci avait pour compagnons de voyage J.B. MIEGE et Simon DELALEU qui, porteurs de dépêches confidentielles, se rendaient à Bordeaux pour se mettre à la disposition du gouvernement replié dans cette ville comme agents de renseignements.

Le fret postal se composait de 160 Kg de dépêches et de quatre pigeons. Le voyage, sauf un froid intense, fut bon et aucun bruit ne troubla la quiétude des aéronautes. Il se fit à haute altitude avec une bonne visibilité. La terre couverte de neige présentait, en effet, un aspect si uniforme que les voyageurs avaient l’impression d’une immobilité absolue.

Le passage du ballon fut signalé à Buzançais peu après 9 h 30 puis à la Souterraine à 11 h 00 et il était près de midi quand il fut aperçu à Laurière alors que sa marche paraissait très lente.

Sept heures après avoir quitté Paris, le Tourville laissait très loin derrière lui les régions envahies. Alors que le ballon survolait la région de St Léonard, le pilote se disposait à atterrir, mais des clameurs venues de la terre leur paraissant hostile firent croire aux voyageurs que les habitants les prenaient pour des ennemis. Aussi s’empressèrent-ils de jeter du lest. Vers Sauviat, on leur tira même dessus à coups de fusil ! Puis ils trouvèrent un courant du nord-ouest qui les poussa vers les Ribières de Bussy, en direction d’Eymoutiers, puis ils se rapprochèrent à nouveau sur le sol.

Ils hélèrent quelques paysans pour s’enquérir de l’endroit ou ils se trouvaient : «vous êtes près de Limoges», leur cria-t-on, mais ils perçurent : «vous êtes près des Vosges ! ». Stupéfaits d’une telle réponse, ils jetèrent à nouveau du lest et retrouvèrent un courant venant de l’est qui les dirigea vers Ste Anne, puis un vent du sud-ouest qui les renvoya sur Eymoutiers.

Ayant acquis la certitude qu’ils étaient dans la Haute-Vienne, les voyageurs décidèrent de toucher terre à proximité de cette localité, à 1 h 00 de l’après-midi. Une jeune fille de quinze ans, Anne Labrune, qui était allée voir ses parents au Petit-Toulondit, eut la surprise, en sortant de la maison, d’apercevoir, venant de Boubas, la masse sombre du ballon !

A l’intérieur de la nacelle, les trois hommes faisaient des signaux, en criant de saisir le guiderope, cette longue corde qui traînait par terre. Le ballon toucha le sol dans un pré très pentu et glissa sur la neige jusqu’à la Vienne gelée où il s’arrêta. L’endroit où eut lieu l’atterrissage se trouvait sur le bord de la rive droite de la rivière, au lieu-dit «Toulondit», à environ 300 mètres des dernières maisons, au nord-ouest du bourg d’Eymoutiers, et que depuis on a appelé le Pré du Ballon. La première parole des aéronautes fut : «hé, les amis, attention ! ni feu, ni cigarettes ! », ils ouvrirent la soupape et l’oxygène s’échappa, les cordes furent saisies par des vigoureux jeunes gens qui furent soulevés jusqu’à un mètre du sol ! Les voyageurs demandèrent alors de l’eau pour leurs pigeons, précieux compagnons qui pourront rapporter à Paris les nouvelles de leur province et du gouvernement replié à Bordeaux.

L’accueil réservé par les Pelauds à ces hôtes inhabituels fut des plus chaleureux comme l’atteste la dépêche envoyée au préfet par Monsieur Alexandre Raymond, adjoint au maire d’Eymoutiers :
«Toute la population d’Eymoutiers s’est empressée de venir au secours des aéronautes, et leur a prêté tout le concours possible. Le ballon a été dégonflé sur les lieux et la population s’est mise à la disposition de l’aéronaute pour le porter sur ses épaules (le ballon) sous la halle de la mairie où M. Moutet s’est occupé de le plier. Quant à moi, Monsieur le Préfet, mes fonctions m’ont fait un devoir de donner à ces voyageurs une hospitalité bienveillante. Je ne dois pas vous taire que dans toutes ces circonstances les habitants d’Eymoutiers ont montré le patriotisme dont ils sont toujours animés. »

Ayant confié leur courrier à Mademoiselle de La Bachellerie de Fougeolles, directrice de la poste d’Eymoutiers, et après que les dépêches soient parties pour Limoges sous l’escorte du gendarme Léonard, les voyageurs poursuivirent leur route vers Bordeaux, dans la carriole de la maison Duris où avait été chargée la nacelle. Ils y arrivèrent le lendemain.

Voilà presque 150 ans que cet épisode insolite est venu troubler la quiétude des Pelauds. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Peu de chose, sans doute a-t-il une petite place dans notre mémoire collective. Bien sûr, il ne subsiste rien de matériel, pas même la boussole de bord et les lambeaux d’étoffe laissés en souvenir par les aérostiers ! Qui connaît encore ce lieu, en face de Toulondit, comme le Pré du Ballon ?

L’allée du Tourville mène, à gauche, à la piste de Pumptrack et à droite aux Jardins Partagés où se trouve une œuvre de Iradj Emami, puis à la station d’épuration et aux bords de Vienne.

Abel Moutet, le pilote du Tourville

La plaque indiquant l’allée du Tourville

Lieu d’atterrissage du ballon

Lettre transportée par le Tourville

Evocation du survol d’Eymoutiers par le Tourville

Médaille commémorative